"Rouge", un spectacle d'impro qui déconstruit les clichés sexistes Camille Wernaers
Publié le lundi 17 février 2020 Dans "Rouge", 6 comédiennes s'emparent de l'impro théâtrale pour raconter des histoires à travers leurs regards engagés. Ce spectacle est issu de la troupe de La Compagnie qui pétille qui compte le plus de spectacles d’improvisatrices en Belgique et a lancé le hashtag #improvisatricepower.
En coulisse et sur scène, Peggy Pexy Green, comédienne atypique et militante, a décidé de mettre un grand coup de pied dans les stéréotypes sexistes et de remuer les questions genrées. Nous avons discuté avec elle d’un certain type d’impro que l’on appelle "l’impro à propos", c’est-à-dire des spectacles d’impro plus travaillés, avec une mise en scène pour les cadrer et qui traitent de sujets de société. Comment est né "Rouge" ?"
Après avoir joué dans plusieurs troupes et plusieurs spectacles différents, j’ai eu envie de porter des questions de société sur le plateau en impro. Cela se fait plutôt au théâtre mais je me suis demandé pourquoi je ne pouvais pas porter mes valeurs aussi explicitement dans l’impro. On le fait dans ce spectacle mais ce n’est pas habituel, donc ça surprend, souvent positivement, parfois négativement. Je suis très engagée, j’ai envie de pouvoir représenter certaines choses sur scènes, de pouvoir faire avancer les réflexions. J’avais envie de faire de "l’impro à propos". J’ai donc fondé une compagnie où je peux en faire : La Compagnie qui pétille".
Qu’est-ce que ce spectacle a de particulier ?
"Nous essayons d’être aussi inclusives que possible. Par exemple, nous représentons tous les types de relations amoureuses sur scène. C’est important ! Nous voulons créer un spectacle qui permet d’aborder le sexisme dans la société. Il y a aussi du sexisme dans le milieu de l’impro. D’autres femmes qui font de l’impro et en avaient marre de certains réflexes m’ont rejointe. Avec ces improvisatrices, nous souhaitons interroger notre vécu de femmes.
Je crois que l’impro peut être un outil de changement social.
Outre cet aspect engagé, ce qui est particulier à ce spectacle, c’est que nous mélangeons des choses qui se sont vraiment passées avec de la fiction et des choses mises en scène avec de l’improvisation freeform pure. Nos monologues sont mis en scène, mais tout est de l’impro. Notre impro s’inspire de ce que le public nous a dit en début de représentation. On échange à chaque fois avec le public sur un thème précis, on leur demande par exemple s’il y a des hommes dans le public qui occupent des métiers traditionnellement réservés aux femmes et si des femmes occupent des métiers "masculins", cela nous inspire pour les scènes. C’est donc très différent d’un match d’impro, l’énergie est différente, l’émotion aussi, mais il faut tout de même préciser que cela reste de l’art, ce n’est pas une conférence ou du théâtre action. L’objectif demeure de faire un bon spectacle d’art qui remue les consciences !
Je crois que l’impro peut être un outil de changement social.
Je pense que l’on peut faire prendre conscience de nombreux sujets aux gens en les touchant, en faisant appel à leurs émotions. C’est beaucoup plus efficace que de faire la morale !
Dans ce spectacle, on rigole beaucoup, mais il y a parfois des moments durs, il y a aussi des moments d’intimité parce que nous racontons nos vies. C’est un voyage".
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Pouvez-vous en dire plus sur le sexisme qui existe dans l’impro ?
"Il y a des phrases que l’on entend quand on est à l’intérieur de ce milieu, par exemple que les improvisatrices, sur scène ou en tant que coachs, sont moins bonnes que les improvisateurs. Et puis, il y a aussi ce qu’il se passe sur scène et qu’on ne peut pas contrôler, ça sort tout seul. Nous sommes élevé.e.s dans une société patriarcale et quand on fait de l’impro, la discipline en elle-même a des contraintes qui poussent à aller vite, à ne pas toujours réfléchir. Cela demande un certain lâcher prise.
Avec ces improvisatrices, nous souhaitons interroger notre vécu de femmesCe qu’on retrouve sur scène, cela peut être le rôle d’un homme très sûr de lui, dominateur, et, en situation de drague, le rôle de la femme un peu idiote, contente que quelqu’un s’intéresse à elle. Lui va parler à ses copains de comment il peut l’avoir et elle va parler à ses copines de manière ridicule, romantique, etc. Mon but n’est pas de dire qu’il ne faut jamais faire ça, mais il ne faut pas faire que ça.
Nous ne sommes pas aidé.e.s par la langue française quand on joue. La première chose qui nous passe par la tête est d’utiliser le mot "docteur" et pas "doctoresse", et donc on risque de voir les autres comédien.ne.s relancer en disant "mais non, vous n’êtes que l’infirmière, où est le docteur ?" si une femme se présente sur scène. Il y a aussi des scènes un peu lourdes où le personnage masculin, type un patron, a une relation de pouvoir sur le personnage féminin, sa secrétaire, et que le fait qu’il la harcèle soit rendu amusant par les personnes qui jouent, sans aucune conscience ni remise en question du propos, ni au premier, ni au second degré.
S’il y a parfois des choses limites, on sent néanmoins que MeToo est passé est par là. Il y a un mieux, ça avance vraiment.
C’est vrai qu’il est plus facile d’être engagé.e et militant.e sur scène quand on a écrit un texte et qu’on peut le répéter pendant deux ans avant de le jouer au plateau. Il faut être soi-même très déconstruit.e pour être sûr.e qu’au moment d’improviser, il n’y ait pas des choses sexistes qui sortent qui sont le reflet de notre société.
Pour pouvoir jouer notre spectacle “Rouge”, nous parlons beaucoup des questions genrées et de l’actualité entre nous, au quotidien et avant de monter sur scène. Comme cela, nous nous construisons une base collective qui nous permet de faire de l’impro dans un espace de connaissances et de réflexions commun, cela nous nourrit.
Toutes les comédiennes n’ont pas la même approche du féminisme, elles n’ont pas le même âge, pas les mêmes cultures, et n’ont pas eu la même vie, cela permet d’apporter différents angles sur la question des genres".
"ROUGE" se jouera aux dates des 28 février, 19 et 20 mars et 30 avril 2020.
Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be
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